1 décembre 2011

La féminisation du VIH/sida

- Stephen Lewis, Envoyé du Secrétaire général de l'ONU en Afrique, Conférence internationale de Barcelone sur le sida
De plus en plus, "le VIH/sida prend un visage féminin"(39). Les femmes sont plus exposées que les hommes à l'infection pour des raisons sociales, culturelles et physiologiques, et elles sont actuellement infectées à un taux plus élevé que les hommes. Bien qu'à ses débuts l'épidémie ait touché surtout les hommes, aujourd'hui la moitié environ des 40 millions de séropositifs sont des femmes. Les taux d'infection féminine les plus élevés sont enregistrés dans les pays où l'épidémie s'est généralisée et où la transmission est principalement hétérosexuelle, souvent entre époux(40). Cinquante-sept pour cent de tous les séropositifs en Afrique subsaharienne et 49 % dans les Caraïbes sont des femmes, les jeunes femmes étant exposées aux plus hauts risques (voir chapitre 5)(41). Soixantedix-sept pour cent de toutes les femmes séropositives du monde vivent en Afrique(42).
"Le tribut prélevé sur les femmes et les filles . pose à l'Afrique et au monde un défi pratique et moral, qui place l'identité sexuelle au centre de la condition humaine. L'habitude de négliger l'analyse sexospécifique s'est avérée porteuse de mort." 


 AU CENTRE DE L'ÉPIDÉMIE : PAUVRETÉ, VIOLENCE ET DISCRIMINATION SEXUELLE. La discrimination sexuelle, la pauvreté et la violence se situent au centre de l'épidémie du sida (voir encadré 13). Pour des raisons physiologiques, les femmes courent un risque au moins deux fois plus élevé que les hommes d'être infectées par le VIH durant les rapports sexuels(43). Les femmes et les filles sont souvent mal informées des questions de sexualité et de procréation et la proportion des analphabètes est plus élevée parmi elles. Elles sont souvent dépourvues de la capacité de négocier et du soutien social qui leur permettrait d'insister pour des rapports sexuels moins dangereux ou de rejeter les avances non désirées. La violence sexiste constitue un risque majeur d'infection par le sida (voir chapitre 7). En outre, la pauvreté force de nombreuses femmes à devenir des travailleuses de l'industrie du sexe pour subsister ou à entrer dans des relations qui ne leur laissent pas la possibilité de négocier l'utilisation de préservatifs. Souvent, ces femmes sont incapables pour des raisons économiques de mettre fin à une relation, même si elles savent que leur partenaire a été infecté par le VIH ou exposé au VIH(44). Certaines pratiques nuisibles - par exemple, la mutilation/ coupure génitale féminine, le mariage des enfants et "l'héritage de la veuve" (l'union de la veuve à un parent du mari décédé) - aggravent les risques courus par les femmes.

Beaucoup ignorent encore comment se protéger du sida. En 2003, les activités de prévention avaient atteint 8 % seulement des femmes enceintes et 16 % seulement des travailleurs de l'industrie du sexe au niveau mondial(45). Bien que la plupart des pays, y compris en Afrique subsaharienne, aient adopté des stratégies nationales pour combattre l'épidémie, des millions de femmes et d'hommes - à dire la vérité, l'immense majorité - n'ont encore ni services ni traitement à leur disposition.
L'IDENTITÉ SEXUELLE IMPORTE. Les approches de la prévention du VIH attentives aux sexospécificités occupent une place centrale dans la lutte contre l'épidémie. Elles peuvent aussi catalyser une vaste transformation sociale. Les femmes peuvent acquérir un contrôle accru sur les décisions qui affectent leur vie avec le soutien et la coopération de leurs partenaires masculins, des prestataires de soins, des communautés et des gouvernements. Les jeunes hommes qui apprennent à respecter les femmes et comprennent leurs responsabilités dans la lutte contre le VIH/sida sont plus souvent disposés à utiliser un préservatif. Il est possible de mobiliser les maris pour protéger leur épouse et leurs futurs enfants contre le VIH et d'autres infections sexuellement transmissibles.
La prévention du VIH chez les femmes en âge de procréer a une importance cruciale. La planification familiale librement acceptée devrait faire partie de toutes les stratégies destinées à freiner l'épidémie : l'éthique et les droits humains exigent que les femmes séropositives puissent faire des choix informés en matière de planification familiale, notamment celui de prévenir une grossesse non désirée. L'accès au traitement antirétroviral peut aider à préserver le bien-être d'une femme et à prévenir la tragédie que serait la transmission du VIH à ses enfants.
Les programmes de prévention, de soins et de traitement ont progressivement élargi les débats sur l'identité sexuelle, la sexualité et les problèmes de procréation. En 2004, ONUSIDA a lancé la Coalition mondiale sur les femmes et le sida, alliance planétaire de groupes de la société civile, de réseaux de femmes atteintes du VIH/sida, de gouvernements et d'organisations du système des Nations Unies. Son programme demande l'éducation, l'alphabétisation et les droits économiques des femmes; un accès égal au traitement antirétrovial; un accès aux services de santé en matière de sexualité et de procréation; des changements dans les stéréotypes sexuels nuisibles; et une tolérance zéro pour la violence sexiste(46).
LE VIH/SIDA : QU'EST-CE QUE L'IDENTITÉ SEXUELLE A À VOIR AVEC LUI? Environ les trois quarts de toutes les nouvelles infections par le VIH sont transmises par des rapports sexuels entre hommes et femmes. Les attitudes et comportements des hommes commandent le succès des activités de prévention : les hommes détiennent presque toujours la clef des décisions en matière sexuelle, notamment concernant l'utilisation ou non de préservatifs. Dans de nombreuses sociétés, les femmes sont supposées ne pas savoir grand chose à ce sujet, et celles qui soulèvent la question des préservatifs risquent d'être accusées d'infidélité ou de liaisons multiples. La violence contre les femmes et les adolescentes et la crainte d'en être victime affaiblit encore davantage le pouvoir de négociation des femmes.
·     Le sida est apparu dans les années 80 comme une maladie d'hommes; mais la proportion des femmes infectées n'a cessé d'augmenter, passant de 35 % en 1990 à 41 % en 1997 et à 48 % en 2004.
·     Parmi les femmes séropositives, beaucoup sont mariées et n'ont eu qu'un seul partenaire - leur mari.
·     Dans certaines parties de l'Afrique et des Caraïbes, les deux régions où la prévalence du VIH est la plus élevée, le nombre des jeunes femmes (de 15 à 24 ans) atteintes peut être jusqu'à six fois plus élevé que celui des hommes du même âge.
·     Les jeunes femmes sont le groupe le plus touché dans le monde : elles représentent 67 % de tous les nouveaux cas de VIH dans le groupe d'âge 15-24 ans dans les pays en développement. En Afrique subsaharienne, les jeunes femmes représentent 76 % des jeunes séropositifs. Jusqu'à 38 % des adolescentes non mariées âgées de 15 à 19 ans ont eu des rapports sexuels en échange d'argent ou de biens matériels dans certains pays d'Afrique subsaharienne où le sida est très répandu.
Le mariage : sécurité ou risque de séropositivité?
On pense généralement que le mariage représente la "sécurité", mais en bien des endroits il comporte d'importants risques d'infection par le VIH pour les femmes. Les chiffres ci-après, qui proviennent tant d'études au niveau national que d'enquêtes à petite échelle sur les femmes, sont bien révélateurs :
·     Plus des quatre cinquièmes des nouvelles infections par le VIH chez les femmes surviennent dans le cadre du mariage ou de relations à long terme.
·     En Afrique subsaharienne, environ 60 à 80 % des femmes séropositives ont été infectées par leur mari - leur unique partenaire.
·     Au moins 50% des Sénégalaises séropositives ont signalé seulement un facteur de risque - vivre dans une union "monogamique".
·     Au Mexique, plus de 30 % des femmes reconnues séropositives découvrent leur condition après que leur mari a fait l'objet du même diagnostic.
·     En Inde, 90 % environ des femmes séropositives ont déclaré avoir été vierges au moment de leur mariage et être restées fidèles à leur mari.
·     Au Cambodge, 42 % de tous les nouveaux cas d'infection par le VIH résultent de la transmission mari-femme. Un tiers des nouveaux cas d'infection touchent les bébés de ces femmes.
·     En Thaïlande, on estime à 75 % la proportion des femmes séropositives infectées par leur mari.
·     Au Maroc, non moins de 55 % des femmes séropositives ont été infectées par leur mari.
·     Les études montrent que les femmes mariées préfèrent souvent s'exposer à l'infection par le VIH que demander à leur mari d'utiliser un préservatif, car cela reviendrait à le soupçonner d'infidélité. Dans deux districts de l'Ouganda, 26 % seulement des femmes ont déclaré acceptable pour une femme mariée de demander à son mari d'utiliser un préservatif.
"Je n'ai pas compris comment, étant une femme soumise, j'ai pu être infectée, car j'ai été fidèle au seul homme de ma vie." 

- Une femme séropositive du Burkina Faso

Quand les vulnérabilités sont disproportionnées, les charges le sont aussi
Les femmes et les adolescentes affrontent des risques élevés d'infection par le VIH. Elles dispensent aussi une grande partie des soins qu'ils reçoivent à tous ceux qui ont contracté la maladie ou sont infectés, notamment leur mari et les orphelins. Les femmes et les filles représentent les trois quarts des dispensateurs de soins aux sidéens. Parce qu'elles prennent soin des malades, les femmes sont moins en mesure de gagner un revenu, ce qui limite leurs chances de participer à la vie économique. L'impact est particulièrement sévère dans les pays où les femmes constituent la majorité des exploitants agricoles et produisent la plus grande partie des vivres. En République-Unie de Tanzanie, les femmes qui prennent soin d'un mari malade consacrent moitié moins de temps aux cultures qu'auparavant. La perte du revenu du mari, les coûts des soins de santé dispensés aux membres de la famille malades et les responsabilités additionnelles des femmes peuvent aggraver encore leur pauvreté et celle de leurs enfants.
Les femmes atteintes du sida sont aussi les dernières à rechercher ou recevoir des soins. Quand le mari meurt, les ressources de la famille sont généralement dissipées à tel point que les femmes n'ont pas la capacité ou la volonté de rechercher des soins médicaux. Les lois et coutumes relatives à la succession, qui favorisent la famille du mari, peuvent laisser la veuve et ses enfants dans la misère. Ayant un besoin accru de se procurer des ressources, les femmes et les filles peuvent alors être contraintes de devenir des travailleuses de l'industrie du sexe ou d'entrer dans des relations lourdes de risques, ce qui ne fait qu'alimenter davantage l'épidémie. Source
La Santé En Matière De Procréation Et Les Droits Des Femmes Séropositives. Dans les pays en développement, la plupart des femmes séropositives n'ont pas accès au traitement antirétrovial, ni pour elles-mêmes ni pour prévenir la transmission à leurs enfants. En outre, nombreux sont ceux qui estiment par principe que les femmes séropositives n'auront pas de rapports sexuels et ne doivent pas avoir d'enfants(47). C'est pourquoi ces femmes se voient souvent refuser l'information et les services nécessaires pour prévenir la grossesse et la transmission mère-enfant du VIH, aussi bien que l'accès à des soins prénatals et obstétricaux de qualité. Dans les sociétés où une femme est supposée avoir des enfants, les femmes séropositives qui décident de n'en pas avoir doivent faire face à la désapprobation qui les frappe pour être sans enfants, aussi bien qu'aux soupçons et au préjugé hostile qu'attire leur état. Protéger les droits des femmes séropositives en matière de procréation, et notamment prévenir les avortements ou la stérilisation forcés, constitue un problème crucial en matière de droits humains.
La Communauté internationale des femmes atteintes du VIH/sida, créée pour remédier au manque de soutien dont souffrent les femmes séropositives, a dirigé en Amérique centrale, en Afrique de l'Ouest, en Thaïlande et au Zimbabwe une initiative « Voix et choix » qui promeut le droit des femmes à la santé en matière de sexualité et de procréation(48). En Argentine, FEIM, ONG féminine de premier plan, diffuse la Déclaration des droits des femmes élaborée à la Conférence internationale sur le sida de 2002 et forme le personnel sanitaire aux droits humains et à la contraception dans leur cas particulier des femmes séropositives(49).
Au Kenya et en Afrique du Sud, le projet "Mothers 2 Mothers 2 Be" (Des mères parlent aux futures mères) met en relation de jeunes mères séropositives avec des femmes enceintes séropositives pour qu'elles les conseillent sur divers sujets, qui vont de la planification familiale à la production de revenu(50). Cette offre de conseils par des paires a aidé les femmes séropositives à comprendre leurs options dans le domaine de la santé en matière de procréation et à faire face aux difficultés qu'elles affrontent.


L'accès des femmes au traitement du VIH/SIDA. Les programmes destinés à prévenir la transmission mère-enfant du VIH offrent à de nombreuses femmes séropositives leur unique accès aux médicaments antirétroviraux. Dans les pays en développement, la plupart des programmes sont centrés sur la prévention de la transmission mère-enfant et n'offrent aucun bénéfice propre à la mère. En 2003, dans le monde entier, 2 % seulement des femmes enceintes reconnues séropositives après dépistage ont reçu des médicaments antirétroviraux pour améliorer leur santé(51). En Afrique, 5 % seulement des femmes enceintes se voient offrir des services de prévention du VIH(52). Certains nouveaux programmes insistent sur la santé et le bien-être de l'enfant et de la mère.(53)
Pour les riches dans les pays riches, les médicaments antirétroviraux ont dans une grande mesure transformé le VIH en une maladie chronique ne présentant pas de problèmes insurmontables. Mais, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, 12 % seulement des individus atteints avaient accès au traitement à la fin de 2004(54). Préoccupés de ce que les femmes, surtout si elles ne sont pas enceintes, pourraient se voir refuser accès au traitement du fait de la discrimination sexuelle, alors qu'il devient disponible, des groupes de femmes, l'OMS et ONUSIDA ont demandé aux gouvernements de fixer des objectifs nationaux en matière d'égalité d'accès(55).
La Honte, Le Blâme Et Le Sida. L'opprobre tue. La honte associée au sida est un obstacle majeur à sa prévention, et l'opprobre qui entoure les séropositifs est aggravé par la discrimination contre les femmes. Des centaines de milliers de femmes séropositives évitent les services de dépistage et de traitement par crainte d'être abandonnées et de tout ce qu'elles pourraient s'attirer de la part de leurs maris, familles, communautés et des prestataires de soins de santé(56). Il y a certainement lieu de soupçonner les services de dépistage de manquer au devoir de confidentialité : les femmes découvrent parfois les dernières leur condition de séropositive - après leur mari et leur belle-famille(57). Seulement 5 % des séropositifs sont informés de leur condition(58), et le dépistage durant la grossesse est souvent le seul moyen pour une famille d'apprendre que le VIH a infecté l'un de ses membres. Même si elles ont été contaminées par leur mari, les femmes sont parfois blâmées pour "introduire le sida à la maison" et risquent de ce fait violence ou ostracisme(59). Les prestataires de soins de santé refusent parfois aux femmes séropositives les soins appropriés durant et après l'accouchement. Il arrive aussi que des femmes refusent le traitement ou cessent de le suivre si le personnel médical ne les a pas bien traitées(60).
De nombreux pays en développement luttent contre l'opprobre qui frappe les séropositifs en ouvrant des débats sur la maladie, étape essentielle pour encourager chacun à subir un dépistage et suivre un traitement. Une initiative régionale conduite dans sept pays arabes afin de faire mieux prendre conscience du VIH constitue l'un des programmes soutenus par l'UNFPA. En Ouzbékistan, un feuilleton télévisé à grand succès, qui a commencé en 2003, met l'accent sur des problèmes rencontrés dans la vie quotidienne, notamment l'abus des drogues, la prévention du VIH et la discrimination contre les personnes atteintes du VIH/sida. Dans huit pays d'Afrique et six pays d'Asie, l'UNFPA prête appuie à des partenariats entre des réseaux radiophoniques et des organisations de santé à base communautaire dont le but est de produire des émissions dramatiques sur le VIH/sida(61). De multiples partenaires soutiennent de nombreuses initiatives analogues dans l'ensemble du monde développé et du monde en développement, recourant aux médias et au dialogue à base communautaire pour triompher de la honte et de la discrimination qui perpétuent l'épidémie.